Fresque Lhuitre

La fresque « Rachi, ses disciples et ses filles », créée en septembre 2023, raconte et met en valeur le patrimoine juif médiéval de Lhuître où une communauté juive est installée au Moyen-Âge du temps des comtes de Champagne.

 Cette fresque est la troisième d’un circuit de slowtourisme, qui sera enrichi dans les prochaines années avec la création de plusieurs fresques dans une vingtaine d’autres villes et villages de l’Aube. L’écrit, fruit du travail intellectuel que nous ont légué les Sages de Champagne, constitue le fil conducteur de ce « Parcours Rachi ».

Originale dans sa conception, cette initiative engagée donne un coup de projecteur à des communes rurales autour d’un projet collaboratif historique, artistique, culturel, touristique et citoyen inattendu, rassembleur autour de valeurs fortes : partage, ouverture intellectuelle, curiosité artistique, lutte contre les stéréotypes, le racisme et l’antisémitisme.

La fresque de Lhuître mesure 3.80m sur 2.75m et se situe sur le mur de la Mairie.

contact : bonjour@aube-champagne.com

Quels sont les éléments constitutifs de cette fresque?

Le patrimoine juif médiéval de Champagne est largement immatériel. Pourtant les commentaires de Rachi – personnage phare de la pensée juive médiévale – et de ses disciples, les Tossafistes (commentateurs de l’Ecole de Rachi), sur la Bible et le Talmud sont encore étudiés dans le monde entier.

Aussi, le « Parcours Rachi » porté par la Route Médiévale de Rachi en Champagne s’appuie sur ces personnages historiques installés dans des communautés locales qui constituèrent un terrain propice à la rencontre entre communautés juives et chrétiennes partageant un quotidien commun. Leur créativité put s’y épanouir pour donner naissance à des écrits qui restent des références aujourd’hui.

Rencontre entre hébreu et champenois, entre judaïsme et Champagne

Pour exprimer ces échanges quotidiens et familiers, chaque fresque du « Parcours Rachi » contient un commentaire de Rachi en hébreu, traduit en français. Ces commentaires comportent de très nombreux témoignages de la vie locale de l’époque.

Le français médiéval était la langue maternelle des juifs champenois. Ils utilisaient l’hébreu pour le culte et l’étude des textes sacrés et inséraient des mots en français dans leurs commentaires pour en faciliter la compréhension par leurs lecteurs et disciples.

Ainsi, au travers de leurs commentaires, le français médiéval a traversé les frontières et les siècles pour devenir un témoignage majeur des prémices de notre langue. Ces mots constituent parfois les plus anciens exemples de termes transcrits en ancien français et figurent dans de nombreux dictionnaires.

Pour illustrer à la fois cette transmission de l’histoire et de la langue, le commentaire choisi pour la fresque de Lhuître porte sur le verset Deutéronome 14, 12-18 de la Bible hébraïque :

« Voici [les animaux] que vous ne mangerez point: l’aigle, l’orfraie, la valérie, le faucon, les variétés de vautours, tous les corbeaux, l’autruche, l’hirondelle, la mouette, les variétés d’éperviers, le hibou, la hulotte, le porphyrion, le pélican, le percnoptère, le cormoran, la cigogne, les variétés de hérons, la huppe et la chauve-souris. ».

Rachi commente ce passage comme suit :

« La huppe est le coq sauvage, qui est appelé harupe dans notre langue et qui a une crête double ».

Ce commentaire de Rachi utilise le mot harupe en ancien français, transcrit en caractères hébraïques pour traduire le mot huppe.

La traduction du commentaire est une adaptation de plusieurs sources qui a permis de rendre sa lecture et la compréhension plus fluide.

Ce commentaire confirme le lien entre le quotidien médiéval en Champagne et l’étude du texte biblique par les communautés juives présentes sur le territoire.

Fresque de L'Huître
Fresque de L'Huître

La narration de la fresque de Lhuître

A ce jour, Lhuître est référencée comme l’une des communes ayant abrité une communauté juive médiévale. Après Rachi, célèbre commentateur des textes sacrés du judaïsme, son Ecole rayonne depuis le comté de Champagne à partir du XIIe siècle. Au XIIIe siècle, le territoire a compté jusqu’à 70 érudits qui ont donné leurs lettres de noblesse au Talmud en s’inspirant de la méthode de Rachi.

Aucun nom de Tossafistes ou de membres de la communauté juive de Lhuître ne nous est parvenu à ce jour. A défaut, la fresque représente Rachi, sa femme et ses filles ainsi que ses disciples.

Les personnages

Rachi, né en 1040 et mort en 1105, est représenté ici âgé et serein, concentré sur un passage biblique qu’il déchiffre. L’artiste a imaginé une huppe lui soufflant des mots sacrés à l’oreille. La huppe fasciée a été le symbole de l’État d’Israël en 2008. Cet oiseau endémique du territoire de Champagne a été décrit par Rachi dans le verset biblique du Deutéronome 14, 18 et du Lévitique 11, 19 tel qu’énoncé plus haut.

Au cours de sa vie Rachi a enseigné à une vingtaine d’élèves venus de France du Nord et au-delà. Ils étudiaient chez le Maître et s’inspiraient de sa nouvelle méthode de commentaires avant de s’installer à leur tour dans d’autres territoires, pour ouvrir une maison d’études où ils transmettaient l’enseignement de Rachi et les paroles de Torah. Ils sont ici représentés tous ensemble autour d’une table animée de discussions.

Son épouse, dont on ignore le prénom, et ses trois filles, Myriam, Yochebed et Rachel apparaissent au premier plan, un manuscrit et des instruments de musique à la main, afin de montrer, comme l’a suggéré le Professeur et rabbin Marc-Alain Ouaknin, l’importance qu’a donné Rachi à l’étude des femmes en son temps. Ses filles étaient instruites et savantes. Elles étaient consultées sur des questions d’exégèse biblique. L’existence de sa troisième fille, Rachel, reste controversée selon certaines sources.

Sur le même plan, la patronne de Lhuître, sainte Tanche, représente une autre figure féminine forte du territoire. Martyre décapitée en 637, elle apparaît devant la chapelle qui porte son nom et qui se visite aujourd’hui.

Cette représentation de femmes juives et chrétienne sur le même plan, symbolise la rencontre entre Judaïsme et Christianisme en terre de Champagne. Les Juifs et Chrétiens ont partagé la même langue, les mêmes métiers et les mêmes quartiers jusqu’au XIIIe siècle et leurs relations dans le comté de Champagne étaient plutôt favorables.

Tous les personnages symbolisent également l’importance de l’étude, de la foi et de la transmission.

Ils apparaissent autour de travaux des champs, leur moyen de subsistance principal. La région de Lhuître est historiquement une région agricole, terre de blés, de vigne et d’élevage. C’est la raison pour laquelle il a été choisi de représenter ces symboles forts de l’identité locale à différents endroits de la fresque.

Fresque de L'Huître

Le contenu des frises

Sur le bandeau supérieur, le symbole d’une ménora est répété 8 fois. La ménora est un objet liturgique juif très ancien qui signifie « candélabre » dont la description apparaît dans la Bible au chapitre de l’Exode 25, 21-37, dont la création a été demandée par Dieu. Elle représente un objet biblique également devenu symbole de l’Etat d’Israël. Elle porte 7 branches comme un arbre qui s’élève vers le ciel avec des fruits de lumière qui rayonnent vers l’extérieur, « un arbre de vie qui éclaire celui qui étudie » selon Rachi. Les 7 branches sont comme les sept jours de la semaine dont le Chabbat, le jour sacré pour les Juifs, au centre, éclaire tous les autres. Sur la fresque, la ménora est suggérée poétiquement avec seulement 3 branches.

 

Sur les bandeaux des deux côtés, apparait l’alphabet hébreu dans une police particulière appelée « Ecriture Rachi ». L’alphabet hébreu compte 22 lettres. Les caractères Rachi sont des caractères utilisés à partir du XVIe siècle pour l’impression des commentaires de Rachi et des Tossafistes, afin de les distinguer des caractères dits « carrés » dans lesquels étaient imprimés les paroles sacrées de la Bible et du Talmud afin de les différencier des commentaires. Seuls Rachi et les Tossafistes sont depuis, imprimés dans ce caractère spécifique d’imprimerie, qui s’est inspiré d’une ancienne cursive hébraïque séfarade antérieure à Rachi. Autour de l’alphabet, les épis de blé rappellent qu’ils sont à la fois l’un des 7 fruits d’Israël mentionnés dans la Bible et également le symbole de l’agriculture locale.

Sur le ruban du bas défile la Lhuitrelle, la rivière qui traverse le village. Elle est surplombée de grappes de raisin, qui poussaient jadis dans la région. Un petit pont de pierre symbolise au centre, à la fois le lien entre passé et présent, la transmission, et les échanges entre Juifs et Chrétiens au Moyen-Âge.

Les origines du Parcours Rachi 

Depuis 2019, la Champagne fait partie de la Route du patrimoine juif, Itinéraire Culturel du Conseil de l’Europe, en tant que berceau d’un patrimoine immatériel universellement connu et reconnu. La Route Médiévale de Rachi en Champagne a pour mission de faire rayonner la mémoire juive du département de l’Aube, patrimoine culturel d’une valeur inestimable partagé par les Juifs du monde entier et patrimoine historique d’un territoire de tout premier plan – l’ancien Comté de Champagne – au rayonnement national et international. Il ne subsiste pourtant aucun vestige physique des lieux de vie de ces communautés. Mais les noms de leurs représentants ont traversé les siècles et les frontières et sont mondialement connus sous le terme des « Sages de Champagne ». Les plus connus ont résidé à Ramerupt et Dampierre, deux communes de la Communauté de Communes d’Arcis-Mailly-Ramerupt (CCAMR) située au nord de l’Aube, ce qui explique l’emplacement des trois premières fresques.

L’esprit du parcours Rachi

Dans un contexte de patrimoine immatériel, l’idée d’illustrer le patrimoine juif médiéval de l’Aube par le biais d’œuvres artistiques pérennes, gratuites et ouvertes à tous, a pour objectif de rendre ce pan de l’histoire locale accessible au grand public pour permettre, outre la découverte de l’histoire de l’Aube, une meilleure compréhension du patrimoine juif et de la culture juive de manière informelle, en croisant art et patrimoine historique de façon ludique.

Dans ce cadre, ce circuit de slowtourisme prend tout son sens d’un point de vue touristique et culturel en même temps que dans une logique de valorisation du territoire.

Ce projet gratuit et destiné à tous les publics, habitants comme touristes, est largement inclusif autour d’une histoire locale oubliée. En impliquant les habitants et en particulier les publics scolaires dans sa réalisation au travers de nombreux ateliers, il a œuvré à faire reconnaitre ce patrimoine local majeur et à lutter contre l’antisémitisme.

Fresque de Lhuître
Fresque de Lhuître

Le rôle du Conseil Scientifique de la Route médiévale de Rachi en Champagne

Le travail de narration de la fresque a été proposé par CulturistiQ Laboratoire Culturel et encadré le Conseil scientifique de la Route médiévale de Rachi en Champagne, constitué d’une équipe de chercheurs d’excellence :

  • Arnaud Baudin, Directeur adjoint des Archives et du Patrimoine de l’Aube, Docteur en histoire médiévale
  • Marc-Alain Ouaknin, Rabbin, écrivain et professeur de philosophie et littérature comparée à l’Université Bar-Ilan (Israël)
  • Pinchas Roth, Professeur d’histoire juive médiévale, Département Talmud à l’Université de Bar Ilan, spécialiste d’Isaac de Dampierre
  • Danièle Sansy, Maîtresse de conférences en histoire médiévale à l’Université Le Havre Normandie

L’équipe a été accompagnée ponctuellement par Judith Kogel, Directrice de recherches à l’IRHT (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes), et les Professeurs Rami Reiner (Université Ben Gourion) et Claire Soussen (Université Boulogne Côte d’Opale et Directrice de la Nouvelle Gallia Judaica)

Les membres du groupe de travail ont validé la narration proposée par la Route médiévale de Rachi en Champagne sur le thème de la « Mémoire des Sages de Champagne » qui s’est articulée autour d’une rencontre entre symbolique champenoise médiévale et symbolique du patrimoine et de l’histoire juive locale. L’expertise du conseil scientifique a été particulièrement sollicitée pour la cohérence des détails historiques et de la symbolique, ainsi que la validation des choix du verset et de la traduction du commentaire figurant sur la fresque.

La fresque de Lhuître. Une rencontre entre art et histoire

La maquette de la fresque de Lhuître a été réalisée un artiste fresquiste de renom, Jean-Jacques Jolinon.

Initié au travail de la chaux par un grand-père maçon, il conserve le souvenir de sa Tunisie natale aux maisons badigeonnées de couleurs pastel. Après avoir vécu aux États-Unis et au Mexique, où il est impressionné et séduit par le mouvement muraliste, il n’a qu’une obsession : la réhabilitation et la transmission de la fresque.

Il s’installe dans la Vienne en 1981 où il dirige les ateliers de fresques à l’abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe dans le cadre du Centre international d’art mural, jusqu’à sa fermeture en 2003. Il continue des chantiers de formation à l’abbaye royale de Saint-Jean-d’Angély, à la Chambre des Métiers d’Aurillac, dans des lycées de Poitiers et de Troyes.

C’est à Saint-Jean-d’Angély qu’il rencontre les enseignants qui fondent en 2003, l’association des Passeurs de Fresques dont l’objet principal est la transmission de cet art ancestral. Il les forme, les accompagne, les soutient dans leurs actions depuis 20 ans.

Parallèlement à son activité de formateur, il réalise de nombreuses fresques chez des particuliers, à la Saline royale d’Arc-et-Senans, dans le hall d’entrée du CHU de Poitiers, dans des mairies (Saint-Savin sur Gartempe, Chauvigny).

Dans l’Aube, il a créé et réalisé les fresques de l’IUMP (Troyes, 2007), de la salle socio-culturelle de Faux-Villecerf (2010), de la grange du moulin de Dosches (2013) et de l’ancienne Bourse du Travail (Troyes, 2022)

La réalisation de la fresque a été confiée à l’association auboise « Les Passeurs de fresques ». Les bénévoles utilisent cet art antique qui est une technique de peinture sur un enduit frais constitué de chaux aérienne et de sable de rivière. Les couleurs appliquées sont des pigments naturels, compatibles avec la chaux, simplement délayés dans l’eau.

Fresque de Lhuître
fresque de Lhuître
fresque de Lhuître

Comment se réalise une fresque ?

Une fois la maquette de la fresque réalisée par l’artiste, les fresquistes l’agrandissent à l’échelle. Le calque plastique utilisé pour cette opération est ensuite positionné sur le mur préalablement préparé et permet d’apposer le tracé, puis au fur et à mesure les pigments souhaités. Une opération pour un chantier tel que la fresque de Dampierre nécessite cinq jours pleins de travail sur site, sans compter les travaux préalables d’agrandissement de la maquette et le choix des couleurs.

Pour plus d’informations : http://lespasseursdefresques.fr/

Le chantier de la fresque de Lhuître

Le projet de fresque de Lhuître a été porté par la Communauté de Communes Arcis Mailly Ramerupt, conjointement avec celui de Dampierre et Ramerupt. La commune de Lhuître a montré un vif intérêt à revaloriser son patrimoine médiéval et s’est portée candidate à la réalisation de cette troisième fresque du Parcours Rachi.

La chaux est un matériau vivant qui s’adapte mieux à un mur en brique sain. Celui de la Mairie de la commune répondant à ces critères a paru idéal au groupe de travail. Le choix d’une fresque de grande dimension, visible gratuitement depuis la voirie communale a fait l’unanimité.

La présence d’une dizaine de bénévoles a été nécessaire pour réaliser la fresque in situ. Les fresquistes étaient hébergés par la commune pendant toute la durée du chantier. Le chantier s’est déroulé du 11 au 16 septembre 2023. Après la pose, de deux couches de chaux, le travail de report du dessin puis la phase de colorisation de l’œuvre a pu commencer à l’aide d’un échafaudage posé par la municipalité.

Les partenaires du projet

Ce projet porté par la Communauté de Communes Arcis Mailly Ramerupt a retenu l’attention d’institutions publiques et privées qui ont soutenu la création de la fresque.

Au travers du concours d’Idées 2021 et 2022 organisé par l’Agence départementale de tourisme de l’Aube et de l’appui du Ministère de la Culture et du Conseil départemental de l’Aube, l’engagement de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, de la Fondation du Judaïsme Français et de la DILCRAH est significatif d’une reconnaissance historique, civique et pédagogique du projet.

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